« La Commission de la CEDEAO a déployé des efforts considérables pour que les femmes soient au cœur du développement socio-économique de la région »

Dr. Siga Fatima Jagne, Commissaire des Affaires sociales et du Genre de la commission de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)

Dr. Siga Fatima Jagne, Commissaire des Affaires sociales et du Genre de la commission de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)

2 nov 2020

« La Commission de la CEDEAO a déployé des efforts considérables pour que les femmes soient au cœur du développement socio-économique de la région »

UNOWAS Magazine s’est entretenu avec Dr. Siga Fatima Jagne, Commissaire des Affaires sociales et du Genre de la commission de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Mme. Jagne fait un bilan de la mise œuvre de la Résolution 1325 dans la région et des réalisations de son organisation pour l’égalité des sexes.

Quelle est votre évaluation personnelle de la mise en œuvre de la Résolution 1325 ?

Mon évaluation de la Résolution 1325 est tirée des évaluations réalisées dans la région par les organismes de recherche, les organisations de femmes et aussi et surtout la Commission de la CEDEAO. Dans l’ensemble, nous avons noté des résultats très significatifs dans le travail de plaidoyer pour la participation des femmes à la prévention des conflits dans la région. Des plans d’action pour les femmes, la paix et la sécurité ont été élaborés et mis en œuvre dans la plupart de nos États membres.

Je voudrais saisir cette occasion pour reconnaître et saluer le rôle prépondérant joué par les ministères sectoriels et les organisations de la société civile.
Cependant, je ne suis pas non plus satisfaite de l’implication des femmes dans les organes de décision et de la protection effective de leurs droits contre toutes les formes de violence.

En effet, il existe un paradoxe entre les rôles clés joués par les femmes dans la gestion du ménage, la gestion communautaire, la gestion de certains secteurs agricoles, l’ingéniosité dans le secteur informel et leur statut de subordonnées, voire mineur, au pouvoir de décision, dans leurs droits à la propriété et la transmission des avoirs, dans les libertés individuelles et la protection de leur intégrité physique et psychologique contre toutes les formes de violence.
Le lien inextricable entre ces droits et la préservation de la paix et de la sécurité est bien établi. Nous devons donc adopter une approche systémique pour comprendre les interrelations entre les inégalités entre les sexes et la discrimination et les questions de paix et de sécurité dans la région.

D’énormes efforts ont été faits pour aider tous les États membres, à l’exception de quelques-uns, à élaborer des plans d’action nationaux (PAN) pour la mise en œuvre de la Résolution 1325

D’autre part, d’énormes efforts ont été faits pour aider tous les États membres, à l’exception de quelques-uns, à élaborer des plans d’action nationaux (PAN) pour la mise en œuvre de la Résolution 1325.

Cependant, en raison des contraintes de ressources, bon nombre de ces plans n’étaient que sous forme de papier et très peu a été réalisé en termes de mise en œuvre.

Quelles sont les principales réalisations de la CEDEAO au cours des 20 dernières années (en matière de femmes, de paix et de sécurité) ?

La Commission de la CEDEAO a déployé des efforts considérables pour que les femmes soient au cœur du développement socio-économique de la région. C’est cet engagement politique au plus haut niveau qui a permis d’adopter en 2008 un Cadre de Prévention des Conflits de la CEDEAO communément appelé CPCC.
Le CPCC comprend quatorze composantes qui constituent la chaîne d’initiatives visant à renforcer la sécurité humaine et à intégrer les activités de prévention des conflits (opérationnelles et structurelles) et de consolidation de la paix.

La composante 10 du CPCC, intitulée Femmes, paix et sécurité, vise à faciliter la mise en œuvre des dispositions de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies ; les dispositions pertinentes du Traité révisé de la CEDEAO de 1993, en particulier l’article 63 et les dispositions consacrées aux femmes et aux jeunes dans les articles 40, 42 et 43 du Protocole additionnel de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance.

Pour traduire ces documents de politique de genre en programmes opérationnels, la CEDEAO, à travers son Centre pour le développement du genre (CCDG), a adopté le Plan d’action régional de la CEDEAO pour la mise en œuvre de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies et des programmes connexes, en 2010, grâce au soutien financier du PNUD.

Après l’adoption de ce plan, en collaboration avec UNOWAS et ONU Femmes, la CEDEAO a soutenu l’établissement de plans d’action nationaux sur la Résolution 1325 dans 13 États membres de la CEDEAO entre 2010 et 2014. Le but ultime des plans était d’accélérer les efforts des États membres de la CEDEAO dans la mise en œuvre des engagements internationaux, continentaux et régionaux concernant les femmes, la paix et la sécurité.

En 2017, la CEDEAO a également adopté un plan d’action du CPCC pour la composante femmes, paix et sécurité

En 2017, la CEDEAO a également adopté un plan d’action du CPCC pour la composante femmes, paix et sécurité. Ce Plan est le résultat de consultations avec les mécanismes gouvernementaux, les acteurs de la société civile et les partenaires techniques et financiers sur les priorités de la région en termes de leadership et d’inclusion des besoins spécifiques des femmes en matière de paix et de sécurité dans la région.

On peut également citer la mise en place d’un système d’alerte précoce au niveau régional avec une composante visant à intégrer la dimension genre dans le système d’alerte basé sur des données de genre désagrégées sur les victimes, les informateurs, les rôles et impacts différenciés entre les femmes et les hommes, l’analyse des besoins spécifiques au genre, etc.

A cela encore, nous pouvons ajouter la production d’un manuel et de modules de formation sur l’intégration du genre dans le système d’alerte précoce de la CEDEAO en vue d’inclure le genre dans les différentes phases de l’alerte précoce, en particulier dans la collecte et l’analyse des données ainsi que la formulation et la mise en œuvre de réponses appropriées.

Le Département des Affaires Sociales et du Genre, à travers le Centre pour le développement du genre de la CEDEAO, a également fait des efforts supplémentaires pour promouvoir la paix et la sécurité en Afrique de l’Ouest, en mettant en place des mécanismes régionaux impliquant les organisations de la société civile. Ainsi, œuvrant dans le domaine des femmes et de la sécurité, le Réseau sur la paix et la sécurité des femmes dans la région de la CEDEAO (NOPSWECO) et le Réseau ouest-africain des jeunes femmes leaders (ROAJELF) ont été créés en 2009.

L’appui technique et financier apporté aux antennes nationales de NOPSWECO et RAOJELF a permis de développer des programmes de sensibilisation à la Paix et à la Sécurité et de combiner ces activités avec des programmes économiques avec les Associations Villageoises d’Epargne et de Crédit (VSLA) afin de garantir une paix durable et de promouvoir la lutte contre la féminisation de la pauvreté.

La CEDEAO a également transformé le Comité des Sages en Comité des personnes Sages afin de permettre l’intégration des femmes dans le mécanisme de diplomatie préventive en matière de paix et de sécurité pour la région de l’Afrique de l’Ouest

La CEDEAO a également transformé le Comité des Sages en Comité des personnes Sages afin de permettre l’intégration des femmes dans le mécanisme de diplomatie préventive en matière de paix et de sécurité pour la région de l’Afrique de l’Ouest.

Un plan d’action pour l’égalité des sexes et les élections a également été adopté en 2017 pour garantir la participation des femmes et des filles aux élections et leur protection en période électorale et post-électorale.

Nos interventions vont jusqu’à soutenir les victimes de violence sexiste et organiser des campagnes de sensibilisation sur la lutte contre l’impunité et le plaidoyer pour une législation sur la tolérance zéro pour les crimes sexistes, y compris le viol.

En collaboration avec UNOWAS, un dialogue avec les décideurs a également eu lieu à travers des missions de solidarité dans les pays en conflit.

Le partenariat se poursuit également grâce à la contribution de la CEDEAO au Groupe de travail sur les femmes, les jeunes, la paix et la sécurité en Afrique de l’Ouest et au Sahel, en tant que membre fondateur de ce groupe.

En tant qu’organisation régionale, que pouvez-vous faire de plus pour faire avancer la cause des femmes et des jeunes ?

Aujourd’hui, malgré le travail remarquable réalisé par la CEDEAO en termes de plaidoyer et d’actions pour l’implication des femmes dans la prévention des conflits, leur présence effective dans la prise de décision et leur protection dans les situations de conflit et d’après conflit restent des défis majeurs. Les femmes, les filles et les enfants sont les principales victimes de la violence politique et sociale. Il est donc nécessaire de promouvoir la culture de la paix et de mettre en œuvre le plan d’action de la composante Femmes, Paix et Sécurité du CPCC pour accélérer l’intégration régionale des peuples et une paix durable dans la région.

Les femmes doivent être impliquées en permanence dans les mécanismes de prévention et de règlement des conflits. En effet, comme vous le savez, en termes de sécurité en Afrique de l’Ouest certains pays sont exposés à l’insécurité et la population jeune est devenue la cible de la criminalité transfrontalière et du radicalisme, de l’urbanisation rapide de la majorité de ses pays et de la naissance de terroristes et djihadistes. Des groupes de la bande sahélo-saharienne ont encore aggravé la situation. À cela, il faut ajouter les défis de la gouvernance et de la pauvreté. En effet, sur les 15 États membres de la CEDEAO, 11 sont parmi les pays les plus pauvres du monde.

Ce contexte difficile doit nous pousser vers plus de synergie en impliquant les 52% de la population qui sont des femmes et 66% de la population qui sont des jeunes de notre région. Ils doivent être suffisamment impliqués dans la prise de décision pour prévenir et alerter sur les menaces à la paix et à la sécurité et participer au maintien de la paix.

Actuellement, mon Département se mobilise avec d’autres départements de la Commission et avec des partenaires des Nations Unies et de la société civile pour prévenir les risques éventuels de conflits et leurs impacts sur les femmes, les jeunes et les enfants dans les pays qui organiseront des élections d’ici décembre 2020 et 2021. Un accent important sera mis sur le plaidoyer et des actions énergiques seront prises pour des élections pacifiques et transparentes, mais surtout pour une participation efficace et productive des femmes à ces élections.

Je dois également ajouter qu’après avoir formé des femmes médiatrices pour soutenir les initiatives de paix dans la région et contribuer à la construction de solutions viables pour les pays en situation de conflit, mon Département se mobilise aujourd’hui, dans une dynamique continentale enclenchée par l’Union africaine, pour soutenir la plate-forme régionale Afrique de l’Ouest FEMWISE.

Pour soutenir la gouvernance démocratique dans nos pays, mon département travaille également à renforcer la participation des femmes dans les organes de décision en promouvant des lois sur l’équité entre les sexes et des lois pour la tolérance zéro pour la violence sexuelle et sexiste dans nos États membres, en particulier dans le contexte de la COVID-19.

La place des jeunes est également à reconsidérer dans la construction de la paix. J’ai dit plus tôt, en parlant des réalisations de la CEDEAO, que nous avons créé des clubs de paix dans certains pays. Ceci est très bénéfique mais n’aborde cependant pas les propensions aux conflits et à la violence dans les espaces publics et domestiques.

Un ambitieux programme de formation des jeunes pour réduire le chômage endémique dans la région, couplé à une sensibilisation à la paix et à la sécurité, permettrait certainement de lutter contre le radicalisme et le terrorisme violent, la criminalité économique transfrontalière et les violences sexuelles et sexistes. Mon Département y travaille également.

Nous restons convaincus que le dividende démographique des jeunes pourrait également se concrétiser dans des secteurs prometteurs tels que l’industrie culturelle et créative, soutenu par des programmes de formation et de sensibilisation sur la paix et la prévention de la sécurité.

Mon Département compte s’appuyer fortement sur ses deux leviers opérationnels que sont le Centre de Développement Genre de la CEDEAO basé à Dakar et le Centre de Développement Jeunesse et Sport de la CEDEAO basé à Ouagadougou pour la mise en œuvre de programmes d’envergure pour la consolidation des paix dans la région.

Aujourd’hui, nous avons une femme nommée Premier ministre au Togo et des femmes candidates aux élections présidentielles au Burkina Faso et en Guinée

En termes de participation, comment voyez-vous l’avenir des femmes en Afrique de l’ouest ?

L’avenir des femmes en Afrique de l’Ouest est assez prometteur. Aujourd’hui, nous avons une femme nommée Premier ministre au Togo et des femmes candidates aux élections présidentielles au Burkina Faso et en Guinée. Nous avons également eu, dans le passé, une femme présidente de la République. Je veux dire Son Excellence Mme Ellen Johnson Sirleaf au Libéria. La loi criminalisant le viol a été adoptée au Sénégal et des lois sur les quotas et l’égalité des sexes existent dans des pays comme Cabo Verde, la Guinée, le Niger et le Sénégal.

L’expérience nous a enfin montré que lorsque l’approche technique, je veux dire la capacité à développer de bonnes lois sur l’implication politique des femmes, est établie et si elle est associée à une approche politique pour maintenir le dialogue avec les décideurs, nous pouvons obtenir des résultats probants. Les organisations de femmes et de jeunes regorgent de potentiels qui doivent être libérés pour soutenir les transformations sociales et économiques recherchées pour la région.

En termes d’autonomisation économique des femmes, grâce aux efforts conjoints de la Commission de la CEDEAO et de ses États membres, la contribution des femmes dans la chaîne de valeur agricole s’est grandement améliorée. Nous avons également mis en place une plate-forme régionale pour interconnecter les femmes entrepreneurs de la région, grâce au soutien de la Banque Africaine de Développement (50 millions de femmes africaines parlent).

Les enfants ne sont pas en reste. Un important programme de protection de l’enfance est mené dans certains pays de la CEDEAO grâce au soutien de la Coopération italienne et du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (Projet d’appui à la protection des enfants victimes de violations des droits - PAPEV).

Quel message souhaiteriez-vous transmettre aux organisations de femmes / jeunes et aux gouvernements de la sous-région ?

Tout d’abord, je voudrais adresser un message de réconfort à toutes les victimes de la pandémie du Corona. A toutes les familles qui ont perdu un des leurs et à tous ceux qui luttent contre la maladie, j’exprime ma solidarité et ma compassion.

Je voudrais également exprimer ma gratitude à tous les ministères en charge du Genre, de la Famille et des Femmes dans les États membres de la CEDEAO et aux Organisations de Femmes et de Jeunes de la Région, pour le travail remarquable qu’ils mènent en Afrique de l’Ouest pour soutenir l’action humanitaire de la CEDEAO programmes sociaux et de genre. Comme vous le savez, la seule raison de l’existence de la CEDEAO est de servir quotidiennement les populations de notre Communauté. Ce travail n’aurait pas été réalisé sans le soutien constant de ces ministères et organisations. C’est donc le moment de les remercier et aussi de les inviter à construire davantage de synergies afin d’accomplir l’ambitieux et vaste projet d’intégration régionale au bénéfice des femmes, des jeunes et des enfants.