Briefing au Conseil de Sécurité sur le rapport du Secrétaire-général des Nations Unies sur les activités du Bureau des Nations Unies pour l'Afrique de l'Ouest et le Sahel (UNOWAS) par Mohamed Ibn Chambas

Briefing au Conseil de Sécurité sur le rapport du Secrétaire-général des Nations Unies sur les activités du Bureau des Nations Unies pour l'Afrique de l'Ouest et le Sahel (UNOWAS)

Mohamed Ibn Chambas

Représentant Spécial du Secrétaire-général et Chef d’UNOWAS

New York, 24 juillet 2019

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Monsieur le Président, distingués membres du Conseil,

 

Je suis honoré d'être ici aujourd'hui pour présenter le dernier rapport du Secrétaire-général sur les activités du Bureau des Nations Unies pour l'Afrique de l'Ouest et le Sahel (UNOWAS.).

 

Excellences

 

J'ai quatre messages clés à partager avec vous aujourd'hui en ce qui concerne les développements en Afrique de l'Ouest et au Sahel. Premièrement, depuis ma dernière présentation, la consolidation de la démocratie en Afrique de l’Ouest et au Sahel a encore progressé. Deuxièmement, de tels progrès dans l’espace démocratique n’ont été ni constants ni sans complications. Ça été le résultat de différends parfois antagonistes. Troisièmement, les progrès démocratiques ont été retardés et compliqués, et parfois presque annulés avec l’expansion rapide de l’extrémisme violent dans la région. Mon quatrième et dernier message : reconnaissant les progrès accomplis et malgré les défis persistants, est un message d’espoir pour l’avenir et de confiance en votre soutien alors que nous travaillons ensemble pour maintenir la paix et prévenir les conflits en Afrique de l’Ouest et au Sahel.

 

En effet, nous devons tout d’abord reconnaître et célébrer les progrès réalisés dans la consolidation de la démocratie dans la région, notamment par le biais de transferts de pouvoirs pacifiques. Au cours des six derniers mois, des élections présidentielles ont été organisées au Nigéria (23 février), au Sénégal (24 février) et en Mauritanie (22 juin). À l'approche de ces élections acharnées, j'ai rencontré tous les candidats à la présidence et leur ai fait comprendre, aux côtés de partenaires régionaux et internationaux, la nécessité de respecter les normes électorales élevées dans la région. Au Nigéria, mon bureau a également organisé, conjointement avec la Commission nationale pour la paix et d'autres partenaires, plusieurs forums de la paix pour apaiser les tensions dans les zones électorales à risque.

 

Outre le succès des élections, les dialogues politiques entre le gouvernement au pouvoir et l'opposition au Burkina Faso et au Bénin ont également été ouverts au cours des six derniers mois, tandis qu'au Ghana, les acteurs politiques ont entamé un dialogue sur les groupes d'autodéfense. Le 7 juillet, au Libéria, le gouvernement a respecté le droit du peuple à des manifester pacifiquement et a décidé d’engager un dialogue sur le renforcement de l’économie

 

Les périodes pré-électorales et post-électorales restent toutefois caractérisées par des tensions, des conflits et des différends antagonistes, y compris à propos d'amendements constitutionnels non consensuels. S'attaquer à ces causes potentielles de conflit reste une priorité majeure avant le prochain cycle d'élections présidentielles à forts enjeux en Afrique de l'Ouest, prévu l'an prochain au Burkina Faso, en Côte d'Ivoire, au Ghana, en Guinée, au Niger et au Togo. En outre, les tensions autour des périodes électorales font dérailler l'attention nécessaire sur la nécessité urgente d'aborder les questions de développement et d'inégalité.

 

Par conséquent, Monsieur le Président, mon deuxième message est que le processus de consolidation démocratique dans cette région n’a pas été facile et ne peut être tenu pour acquis. Plusieurs pays de la région continuent de faire face à des problèmes de droits de l'homme. Je suis particulièrement préoccupé par l'instrumentalisation du pouvoir judiciaire à des fins politiques dans certains cas, ainsi que par le sentiment d'impunité qui prévaut pour les crimes violents, sapant le respect de la règle de droit. En ce sens, je salue la voie exemplaire choisie par la Gambie, où la Commission Vérité, Réconciliation et Réparations ainsi que la Commission nationale des droits de l’homme se sont lancées dans une tâche crédible qui a contribué à la justice transitionnelle et à la cohésion sociale.

 

Alors que la région a connu une légère augmentation du nombre de femmes membres de gouvernement et la toute première nomination d’une femme à la présidence du Parlement togolais, la représentation des femmes reste un sujet de préoccupation. Un niveau d'inégalité toujours élevé continue d'avoir des effets négatifs sur les femmes, les rendant ainsi plus exposées à la violence sexiste. L’adoption d’une législation au Cabo Verde classant la violence sexiste comme un crime de prévention prioritaire doit être applaudie dans ce contexte.

 

Troisièmement, Excellences, depuis mon dernier exposé, la région de l'Afrique de l'Ouest et du Sahel a été témoin d'une augmentation encore plus visible et significative des attaques violentes directement liées à l'extrémisme violent. La situation sécuritaire reste instable dans tout le Sahel, où l'escalade de la violence et de l'insécurité a déclenché une crise humanitaire sans précédent qui a laissé un total de 5,1 millions de Burkinabé, Nigériens et Maliens dans le besoin.

 

Il est à noter toutefois que les six derniers mois ont été marqués par une détérioration rapide de la situation en matière de sécurité au Burkina Faso : 226 incidents de sécurité ont contribué à accélérer le déplacement de populations le multipliant par cinq et le faisant passer de 47 000 en décembre 2018 à 220 000 personnes déplacées à l'intérieur de leur pays et à plus de 25 000 réfugiés en juin 2019. Le nord et l'est du pays restent les plus touchés par les attaques récurrentes de groupes terroristes et armés ainsi que par la recrudescence de la violence intercommunautaire avec la participation de groupes d'autodéfense apparemment incontrôlés. De plus, les groupes terroristes ciblent directement les écoles et forcent la fermeture des centres de santé. Au total, 2 024 écoles et 37 centres de santé sont toujours fermés au Burkina Faso, conséquence directe de cette crise.

 

Face à cette escalade rapide, le Secrétaire général Guterres a demandé une intensification significative de la riposte des Nations Unies et mis en place un groupe de travail d’urgence sur le Burkina Faso. L’Équipe spéciale s’appuie également sur les conclusions d’une mission inter-institutions, que j’ai eu le privilège de diriger en février au Burkina Faso, et qui a défini une réponse multisectorielle pour répondre aux besoins immédiats ainsi que les causes structurelles de l’insécurité. Un plan d'intervention humanitaire doté d'un budget de cent millions de dollars a également été lancé et est actuellement révisé à la hausse pour répondre aux besoins croissants.

 

Dans le bassin du lac Tchad, les attaques des groupes dissidents de Boko Haram continuent de menacer la paix et la stabilité de la région : le premier semestre de 2019 a enregistré 30 kamikazes, soit une réduction de 70% par rapport à l'an dernier, grâce aux efforts de la Force opérationnelle multinationale mixte. Cependant, la période passée sous revue a également montré l'attaque la plus meurtrière à ce jour menée contre l'armée tchadienne, au cours de laquelle des combattants de Boko Haram ont tué 23 soldats à Dangdala. Le groupe terroriste a également tenté de lancer une attaque à la roquette sur l'aéroport de Diffa et a mené des attaques terroristes apparemment plus sophistiquées dans d'autres régions du Niger. Au mois de juin, au moins 147 civils avaient été enlevés dans la région de Diffa au Niger, soit le nombre le plus élevé depuis 2015.

 

Compte tenu de cette escalade rapide, notamment des liens croissants dans la région entre terrorisme, crime organisé et affrontements intercommunautaires, les chefs d'État de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ont décidé de tenir le 14 septembre un sommet extraordinaire sur le terrorisme à Ouagadougou. Il vise à discuter d’une approche de sécurité concertée pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel et offre une occasion unique d’harmoniser les arrangements de sécurité fragmentés.

 

Excellences

 

Bien que la mise en œuvre des plans d'intervention humanitaire ait bénéficié d'un soutien louable, j'exhorte les gouvernements et les partenaires à redoubler d'efforts pour définir une approche concertée visant à empêcher une nouvelle expansion de la menace terroriste et à favoriser le soutien aux mesures de stabilisation indispensables à moyen et long terme à la Stratégie Intégrée des Nations Unies pour le Sahel (SINUS).

 

À cet égard, la deuxième réunion du Forum des gouverneurs des bassins du lac Tchad, qui s’est tenue les 17 et 18 juillet à Niamey la semaine dernière, a une nouvelle fois souligné l’importance des approches globales pour lutter efficacement contre l’instabilité en Afrique de l’Ouest et au Sahel et a lancé avec succès un mécanisme de stabilisation pour le lac Tchad. Par le biais d'approches inclusives fondées sur l'appropriation nationale et conformément à la SINUS, nous devons continuer à travailler plus énergiquement pour remédier aux déficits de gouvernance, à l'extrême pauvreté et au manque de développement qui nourrissent et entretiennent la violence armée et l'extrémisme. Le renforcement de l'appui à la mise en œuvre de la stratégie régionale de stabilisation pour le bassin du lac Tchad ainsi que du programme d'investissement prioritaire du groupe des cinq du Sahel, ainsi qu'un effort concerté visant à soutenir les plans de développement nationaux restent essentiels pour relancer le développement de la région et explorer son plein potentiel. Ceci, Excellences, Mesdames et Messieurs, est mon quatrième et dernier message d’espoir. Avec le soutien de ce Conseil auguste et guidé par une appropriation nationale inclusive des pays de la région, je suis convaincu que la consolidation de la démocratie peut encore être renforcée et que les activités des extrémistes violents peuvent être mieux combattues par des mesures préventives.

 

Pour terminer, permettez-moi de vous assurer de l'engagement continu d’UNOWAS à œuvrer avec toutes les parties prenantes de la région pour promouvoir la paix et la stabilité en Afrique de l'Ouest et au Sahel. J'espère que nous pourrons continuer à compter sur l'appui de cet éminent Conseil. À cet égard, j’attends avec intérêt l’examen stratégique d’UNOWAS, qui devrait grandement contribuer à répondre à notre recherche de ressources suffisantes pour nous permettre d’affiner nos outils de prévention des conflits et de maintien de la paix. Je vous remercie, Excellences, pour votre soutien et espère pouvoir continuer à travailler avec vous.

 

Je vous remercie de votre aimable attention.