Les communautés avant les frontières

26 juil 2023

Les communautés avant les frontières

Comment la frontière de votre pays vous définit-elle ? Votre nationalité, les lois que vous respectez, le terrain sur lequel se trouve votre maison ? Pour beaucoup, il s'agit là de certitudes absolues. Pourtant, pour les familles vivant le long de la frontière entre le Cameroun et le Nigeria, cette question n'est pas si simple.

Comme une grande partie du continent africain, le Cameroun et le Nigeria sont deux pays bâtis selon des frontières coloniales. Après que le Cameroun a entamé en 1994 une procédure judiciaire auprès de la Cour internationale de justice (CIJ) pour revendiquer la souveraineté de la péninsule de Bakassi, un arrêt a été rendu en 2002 pour exiger que la frontière entre les deux pays soit délimitée conformément aux documents historiques existants.

Alors que la démarcation des frontières tend à être caractérisée par un langage technique et des objectifs chiffrés, il s'agit au fond d'une question qui affecte de façon intégrale la vie des communautés frontalières locales au Cameroun et au Nigeria. Les habitants de villages tels que Mogode ont exposé les problèmes auxquels ils sont confrontés lors d'une récente mission sur le terrain effectuée par une délégation tripartite composée du Cameroun, du Nigeria et des Nations unies. Au cours de la mission d’évaluation à mi-parcours du lot 7, par le Comité de pilotage du projet, qui s'est déroulée les 4 et 5 juillet 2023, les responsables ont rencontré les chefs traditionnels et la population locale afin de les écouter et de répondre à leurs préoccupations.

Lors d'une réunion convoquée par le préfet local, les chefs traditionnels ont représenté leurs communautés et exprimé leurs préoccupations. De nombreux habitants camerounais ont expliqué que leurs maisons, leurs fermes, leurs bâtiments publics et même leurs villages étaient désormais considérés comme se trouvant au Nigeria. Les fermes ont été coupées en deux et certaines familles vivent de part et d'autre de la frontière. Nombreux sont ceux qui ont vécu toute leur vie en tant que Camerounais et à qui l'on dit maintenant, à tort, qu'ils sont considérés comme des Nigérians aux yeux de la loi.

Reconnaissant ces problèmes très concrets et viscéraux, les chefs de délégation ont expliqué que l'arrêt de la CIJ ayant été approuvé en 2002 par les chefs d'État du Cameroun et du Nigeria de l'époque, devait être mis en œuvre.  Ils ont expliqué les options offertes aux habitants : ils peuvent changer de nationalité pour s'adapter au territoire dans lequel ils vivent, ils peuvent conserver leur nationalité actuelle ou ils peuvent s'installer du côté de la frontière qu'ils estiment correspondre à leur identité, mais ils doivent obéir aux règles et aux lois du pays dans lequel ils résident. Cependant, chaque option est assortie d'une mise en garde essentielle : tout problème ou grief doit être soumis aux autorités locales par des moyens légaux et pacifiques, en évitant à tout prix la violence.

Malgré le caractère pratique de la réunion, les autorités et la population locale ont surtout retenu que les Camerounais et les Nigérians forment une famille qui ne peut laisser une frontière s'interposer entre des années d'histoire et de culture riches que les deux pays partagent. La paix doit être protégée à tout prix.

Alors que la construction des piliers continue de progresser et que la finalisation du projet de démarcation de la frontière est en vue, les droits des populations concernées restent une priorité essentielle pour la Commission mixte Cameroun-Nigéria (CNMC) des Nations unies. Afin d'aider les populations frontalières à traverser cette période de transition, des projets de sensibilisation seront mis en œuvre pour soutenir les personnes concernées et veiller à ce que le projet atteigne son objectif de préserver la paix et la sécurité pour les populations du Cameroun et du Nigeria.