"Les femmes disposent d’un leadership réel mais nos sociétés sont souvent conservatrices"
Ancienne Ministre de la Culture (2001) du Sénégal, Professeur d’histoire du Moyen Âge musulman et occidental à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Mme Penda Mbow est engagée depuis plus de vingt ans dans la société civile pour la promotion du leadership politique et intellectuel des jeunes et des femmes. Dans cette interview, elle nous parle de l'importance du rôle des femmes et des jeunes en Afrique de l’Ouest et au Sahel.
Quel regard portez-vous sur la situation des femmes en Afrique de l’Ouest et le Sahel ?
Un regard d’optimiste mais teinté d’une certaine perplexité. Les femmes se battent au quotidien pour maintenir les équilibres fragiles dans nos sociétés, au sein de la sphère familiale mais les obstacles et les défis à relever sont tellement nombreux que tous leurs efforts s’en trouvent annihilés.
Elles souffrent en général de la pauvreté massive, des violences de toutes sortes y compris la violence symbolique, du chômage de leurs enfants, de l’inefficacité de nos systèmes éducatifs, du sous-emploi des pères de familles, de l’urbanisation non maitrisée (elles sont les premières victimes des désagréments du transport urbain par exemple), du drame de l’émigration clandestine, des aléas climatiques…que sais-je encore ?
En général, elles ne sont pas à l’origine des conflits mais en sont les premières victimes.
Justement, pensez-vous que les gouvernements de la sous-région font assez pour renforcer la participation des femmes dans les instances de prise de décisions, notamment dans les domaines politique et économique ?
A ce niveau, nous devons faire la différence entre les pays post-conflits. Liberia, Côte d’Ivoire, Sierra Leone, par exemple et les autres.
Dans les pays sortis de guerre civile et qui ont fini par sombrer pendant plusieurs décennies dans les luttes fratricides, on a besoin des femmes pour reconstruire. Ce qui explique largement la présence de Mme Ellen Sirleaf Jonhson à la tête du Libéria de 2006 à 2018, le respect voué à la figure d’Henriette Diabaté, Historienne émérite et Grande Chancelière de l’Ordre national du Lion en Côte d’Ivoire ou la longévité de Kandia Camara au poste de Ministre de l’Education nationale depuis l’accession d’Alassane Ouattara à la magistrature suprême en 2011.
Quant à un pays comme le Sénégal, depuis 1960, je parlerai du pouvoir confidentiel des femmes. Les rares percées s’expliquent par un concours de circonstances mais pas par une volonté réelle de reconnaître l’apport des femmes.
Dans des pays comme le Mali ou le Niger, adopter un code de la famille y relève d’un travail de Sisyphe.
On voit peu de femmes au sein des différents gouvernements dans la sous-région. Est-ce un manque de leadership féminin ou absence de politique (s) gouvernementale(s) qui assure la promotion du rôle de la femme ?
Les femmes disposent d’un leadership réel mais nos sociétés sont souvent conservatrices et les hommes qui accèdent au pouvoir ne sont pas forcément de vrais militants; ils ne croient pas aux femmes et développent une relation de domination avec elles.
En plus les femmes qui incarnent ce leadership n’ont pas les moyens matériels absolument nécessaires à la conquête du pouvoir ; les idées aussi pertinentes qu’elles soient, ne suffisent pas. Le talent, la force morale, l’intégrité et les outils intellectuels ne sont pas toujours efficaces pour s’imposer au sein des formations politiques ou créer un mouvement citoyen pouvant aller à l’assaut des suffrages des citoyens.
Selon vous, que pourraient faire les Etats et Gouvernements de la région pour mieux protéger les femmes et les filles et promouvoir leur implication dans tous les processus de paix et de développement de la région ?
D’abord, il faut commencer par reconnaitre la valeur des femmes, les résultats exceptionnels des filles à l’école et leur progression régulière dans toutes les disciplines, leur vouer respect et confiance. Sortir du déni par rapport à leur apport dans l’histoire, la vie quotidienne et leur capacité à porter les changements et mutations.
Repérer les femmes qui ont un vrai leadership transformationnel pour les intégrer à tous les niveaux décisionnels : institutions décentralisées et représentatives, groupes de réflexion, groupes de médiation, gouvernement paritaire, institutions régionales et sous régionales, etc.
Bientôt, on fêtera les 20 années de mise en œuvre des Résolutions 1325 (2000) et suivantes du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Pensez-vous que ces Résolutions ont permis de réelles avancées en matière d’implication des femmes dans la prévention et la gestion des conflits, et les processus de paix dans la région ?
Absolument, surtout dans la prise de conscience. La Résolution 1325 a donné l’occasion à beaucoup de femmes de témoigner des violences en zones de conflits, de l’utilisation du viol comme arme de guerre… elle a simplement libéré la parole des femmes et permis des avancées significatives dans le règlement des conflits et surtout suscité une appropriation par les élites de la situation désastreuse dans les camps de réfugiés, la souffrance des femmes et des enfants. Cette prise de conscience a donné lieu à la culpabilisation de ces élites, étape décisive vers l’élaboration de mécanismes pour instaurer la paix, juguler les germes de la violence, instaurer des instruments pour protéger les femmes et les enfants.
Ce n’est pas toujours facile car ce sont ces mêmes élites qui instrumentalisent toutes les différences (races, ethnies, castes, religions, confréries, etc…) pour en faire des leviers de conquête du pouvoir et de pérennisation de celui-ci.
Quelle est votre appréciation du rôle des organisations régionales (notamment la CEDEAO, l’Union du Fleuve Mano et le G5 Sahel) pour améliorer la situation des femmes en Afrique de l’Ouest et au Sahel ?
La crédibilité de la CEDEAO s’est confirmée au fil des ans avec la création du Centre genre, la mise sur pied et l’organisation des réseaux de femmes pour promouvoir la paix dans la sous-région. Elle a intégré dans tous ses démarches et débats, les femmes de la sous-région. Il en est ainsi du système d’Alerte précoce. Quant à l’Union du Fleuve Mano, elle est surtout incarnée par une figure féminine, Saran Daba et a beaucoup contribué à construire la paix dans les pays comme la Sierra Leone, la Guinée, etc…
Par contre, on ne sent pas encore le G5 Sahel où domine la dimension militaire et sécuritaire ; en tous cas, c’est ce qui est plus perceptible. Ce qui explique me semble-t-il le faible impact des femmes et leur présence limitée au G5 Sahel.
Cet article est publié dans le Magazine UNOWAS N9 -> Téléchargez ici