UNOWAS E-Magazine NUMERO 3: De la diplomatie préventive à la transition politique pacifique en Gambie (Mars 2017)

De la diplomatie préventive à la transition politique pacifique en Gambie

L’Afrique de l’Ouest a connu une série d’élections présidentielles et législatives qui s’est déroulée pacifiquement, et surtout, dans le respect des normes et principes démocratiques reconnus par l’Union Africaine, la CEDEAO et les Nations Unies.

Rompant définitivement avec des pratiques antidémocratiques dominées par les alternances des coups d’Etat et le monopole du pouvoir sans limite, l’Afrique, et en particulier l’Afrique de l’Ouest, s’est lancée sereinement et avec détermination dans la voie du changement politique qui s’appuie sur les règles et principes d’élections libres qui garantissent le choix du peuple.

Désormais, plus qu’une tendance, c’est une réalité politique dictée par une prise de conscience des africains-citoyens comme leaders-que l’objectif du développement ne peut être atteint que grâce à une nouvelle culture politique dont la bonne gouvernance  et le respect des droits sont les points fondamentaux.
Sans aucun doute, il reste encore du chemin à parcourir. Mais personne ne peut nier, ni sous-estimer les progrès enregistrés en matière de respect des processus électoraux et la mise en place des alternances politiques que l’Afrique de l’Ouest vient de connaitre.

Du Nigeria à la Gambie en passant par le Benin et le Ghana- pour ne citer que ces exemples- les leaders africains et les citoyens ont fait preuve d’une grande maturité politique et ont démontré un grand sens de responsabilité qu’il faut saluer et soutenir.

Au-delà de quelques incidents mineurs entre militants supporters des différents candidats, les dix dernières élections en Afrique de l’Ouest se sont déroulées pacifiquement et sans aucune violence.

L’exemple de la Gambie est dans ce sens significatif. Dans un pays en proie à  un  pouvoir autocratique depuis plus de deux décennies, la marge de manœuvre permettant un changement politique pacifique faible.

Qui aurait pu penser que les élections pouvaient se tenir librement ? Que la commission électorale pouvait être indépendante et se permettre d’annoncer des résultats confirmant l’éviction du pouvoir en place ? Et enfin, qui aurait pu prévoir que les gambiens allaient pacifiquement voter et attendre avec un grand sens de responsabilité les premiers résultats et ensuite- la fin de la crise politique provoquée par le revirement de Yahya Jammeh et son rejet de l’annonce par la Commission Electorale Indépendante confirmant le candidat de la coalition de l’opposition, Adama Barrow, comme le troisième Président élu de la Gambie ?
Cette maturité politique et ce sens de responsabilité représentent aussi le socle de la diplomatie préventive régionale qui a aidé au départ de l’ancien Président Jammeh et a permis une résolution pacifique de la crise.

La médiation conjointe CEDEAO-UA-UN dépêchée à Banjul au lendemain du refus de Jammeh de quitter le pouvoir témoigne de la volonté des pays de la région et des organisations régionales de veiller à ce que le cadre légal permettant des alternances politiques pacifiques, soit scrupuleusement respecté.  Elle témoigne aussi de la détermination de ses organisations régionales de s’approprier les problèmes et les solutions dans une démarche préventive afin de sauvegarde de la paix et la stabilité de la région.  

L’implication personnelle des présidents du Sénégal, du Liberia, du Nigeria, du Ghana, de Sierra Leone, et de la Mauritanie et de la Guinée durant toute période de la crise illustre la détermination des dirigeants africains de tout mettre en œuvre pour prévenir tout risque susceptible de produire un autre conflit , et de  maintenir la région dans une dynamique de changement pacifique.

Le départ de Yahya Jammeh et l’installation au pouvoir d’Adama Barrow sans aucune violence est un succès de la diplomatie préventive régionale. C’est aussi le fruit de l’attitude exemplaire des Gambiens.

Mais ce succès de la diplomatie préventive régionale ne peut être entier et efficace que si la Gambie s’engage à poursuivre le processus de changement politique en respectant les principes démocratiques.

La décision du nouveau Président Adama Barrow de mettre en place une équipe conjointe de transition composée de membres de l’ancienne et de la nouvelle administration, est un signal fort de son attachement au processus démocratique. La communauté internationale qui s’est mobilisée durant la crise poste électorale pour affirmer la primauté du droit et de la constitution, doit continuer son soutien à la Gambie pour consolider ce changement politique et accompagner les gambiens dans leur aspiration à la paix et  au développement.   

C’est pour cela que, soucieux de cette nécessité,  le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS) a déployé au lendemain du retour du Président Barrow à Banjul, un expert en transition politique pour soutenir l’administration entrante et celle sortante, à initier une transition sereine dont l’objectif est d’assurer un changement pacifique du pouvoir.

Dans les prochains jours, l’équipe conjointe de transition devra rendre son rapport au président Adama Barrow ce qui marquera la fin de la période de transition et lancera le début d’une nouvelle ère, celle de l’alternance politique.

Mais cette dernière ne peut constituer une fin en soi tant les défis politiques et économiques sont multiples et nécessitent un engagement politique et une mobilisation forte des nouvelles autorités.  

Dans un pays où 60 % de la population vit dans la pauvreté, et dont le tiers vit avec avec moins de 1,25 dollar par jour, avec un déficit budgétaire qui s’est creusé, atteignant les 7 % du PIB en 2016, la priorité du nouveau gouvernement gambien sera sans aucun doute la mise en place de plans de relance économique et le lancement des reformes structurelles. Les élections législatives prévues le 6 avril prochain, seront, quant à elles, un vrai test pour la coalition au pouvoir.

La diplomatie préventive régionale a été cruciale pour sauvegarder la volonté du peuple gambien exprimée à travers les urnes, et renforcer la paix dans une région qui en a besoin. La transition politique pacifique est fondamentale pour consolider les gains de l’alternance politique par des élections libres.

Les Nations Unies, et particulièrement UNOWAS, en coordination avec les organisations régionales, continueront à soutenir la Gambie dans cette phase importante de son histoire.

Mohamed Ibn Chambas

Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel