« Les femmes et les jeunes constituent un maillon essentiel pour toute politique de développement »

11 nov 2020

« Les femmes et les jeunes constituent un maillon essentiel pour toute politique de développement »

Agathe Telou est la conseillère en genre de UNOWAS. Elle parle de son rôle et aussi de ses perspectives en tant que femme et mère pour faire progresser la participation des femmes et des jeunes dans les processus décisionnels en Afrique de l’Ouest et au Sahel. Entretien.

Vous êtes la conseillère genre à UNOWAS depuis 8 années, en quoi consiste votre travail au quotidien ?

En tant que conseillère genre, mon rôle est de veiller, à l’institutionnalisation du genre au sein du Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS) tout en appuyant son Chef et Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies dans ses décisions et actions relatives à la mise en œuvre du mandat du bureau.

Concrètement, mon travail repose sur quatre volets : Premièrement, conseiller le chef de la mission, les dirigeants et les chefs de sections et unités sur les moyens et manières d’intégrer le genre dans la conduite de leurs activités, et les guider dans la mise en œuvre des Résolutions 1325 (2000) et suivantes du Conseil de Sécurité des Nations Unies relatives aux femmes, à la paix et à la sécurité.

J’assure le renforcement des capacités des collègues sur les questions de genre et apporte mon appui à toutes les sections et unités en vue de s’assurer de l’intégration de la perspective genre dans l’exécution de leurs activités

Mais compte tenu du caractère transversal de la thématique du genre, je développe des outils et des directives pour l’ensemble de la mission : j’assure le renforcement des capacités des collègues sur les questions de genre et apporte mon appui à toutes les sections et unités en vue de s’assurer de l’intégration de la perspective genre dans l’exécution de leurs activités. Cela va des missions de bons offices du Représentant Spécial et de ses initiatives à celles de toute la mission en matière de diplomatie préventive, en passant par l’accompagnement des pays dans le cadre des élections, de la médiation, de la prévention de l’extrémisme violent et la gestion des divers conflits.

Deuxièmement, mon rôle est aussi de promouvoir et de faciliter la mise en œuvre, par les Etats et Gouvernements, des Résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies relatives aux femmes, à la paix et à la sécurité.  A ce niveau, nous avons développé une collaboration et un partenariat étroit avec les organisations régionales, notamment la CEDEAO, l’Union du Fleuve Mano et le G5 Sahel, de même qu’avec les entités des Nations unies et d’autres parties prenantes, afin de mutualiser les moyens pour une meilleure coordination des actions visant à éviter la dispersion de nos énergies et la duplication de nos interventions. Dans le même ordre d’idées, nous avons, ensemble, mis en place, en avril 2009, un groupe de travail multi acteurs représenté dans 17 pays, que nous co-coordonnons avec ONU Femmes.

Troisièmement, je recueille et évalue les données et informations relatives à la mise en œuvre des Résolutions dans la région en vue de contribuer au rapport du SG de l’ONU sur la mise en œuvre des Résolutions 1325 (2000) et suivantes du Conseil de Sécurité.

Enfin, mon quatrième volet d’action, depuis l’adoption en 2015 par le Conseil de Sécurité de l’ONU de la résolution 2250 (2015) sur les jeunes, la paix et la sécurité, je suis également chargée du programme d’implication des jeunes femmes et hommes dans les processus de paix et de sécurité dans les 17 pays d’Afrique de l’Ouest et du Sahel.

Vous êtes au contact des femmes et des jeunes, pensez-vous qu’ils jouent pleinement leur rôle dans le développement de la sous-région ?

Les femmes et les jeunes constituent un maillon essentiel pour toute politique de développement et pour l’établissement d’une paix durable.

Selon les statistiques, les femmes constituent un peu plus de la moitié de la population totale mondiale et près de 60 % de la population active. De plus, plus d’un tiers d’entre elles sont cheffes de ménages, mais paradoxalement, elles sont celles qui tirent le moins de bénéfice des retombées économiques et plusieurs d’entre elles vivent en dessous du seuil de pauvreté dans le monde en développement.

Mère en moyenne de quatre enfants, la femme s’occupe des tâches domestiques, de diverses autres activités sources de revenus

Mère en moyenne de quatre enfants, la femme s’occupe des tâches domestiques, de diverses autres activités sources de revenus, mais également, de la vie politique et de plus en plus, de la gestion des affaires communautaires et nationales. Les femmes, aussi bien en milieu rural qu’urbain sont incontestablement des agents économiques importants et sont présentes dans tous les secteurs économiques, surtout dans l’économie informelle.

En milieu rural, les femmes sont non seulement responsables du processus de production surtout au niveau des cultures vivrières où elles s’occupent de la transformation et de la conservation des vivres, mais sont également fortement impliquées dans la sphère sanitaire à travers leur rôle dans les soins de santé tel que l’accouchement ou l’hygiène du milieu, l’approvisionnement en eau, l’amélioration de l’habitat et de l’alimentation de la famille, ainsi que de la transformation et de la commercialisation des produits récoltés. Les femmes Sahéliennes jouent un rôle indéniable dans la lutte contre la désertification. Elles sont à l’origine de plusieurs activités pionnières en matière de protection de l’environnement.

Dans bien des villes, les femmes sont de plus en plus amenées à jouer un rôle économique important et contribuent aux revenus du ménage, bien au-delà du simple apport complémentaire aux petites dépenses quotidiennes.

Les femmes créent ou militent dans des groupes, associations et réseaux à travers lesquels elles développent et mettent en œuvre diverses activités de développement. Elles constituent des passerelles de paix et d’éducatrices tout en facilitant la communication et les négociations.

Leur entrain dans la participation à la prise de décision se remarque, aujourd’hui, par leur éclatante ascension à des postes stratégiques de prise de décisions.
Les jeunes particulièrement sont considérés comme les vecteurs de changement. Energiques et beaucoup plus tournés vers l’innovation créative, ils contribuent énormément à l’économie de leurs pays à travers leurs entreprises et leur participation au processus de développement et de consolidation de la paix. Cette posture a justifié d’ailleurs, la nomination d’un envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour les jeunes et le développement des stratégies et programmes qui les mettent au cœur de l’action.

Les initiatives basées sur les principes d’inclusion avec une prise en compte effective de la dimension genre marquent leur différence par l’atteinte des résultats escomptés. Toutefois, des solutions aux barrières culturelles et à l’accès limité aux moyens financiers et de production ainsi que l’amélioration de la prise en compte des besoins spécifiques des femmes et des filles pourront permettre de booster davantage le rôle des jeunes et des femmes dans le développement de la sous-région.

Les Nations Unies et Les autres partenaires, comme la CEDEAO, travaillent en étroite collaboration sur les questions de genre avec une vision partagée sur le cadre normatif

Comment évaluez-vous la contribution du partenariat régional-notamment avec la CEDEAO- dans l’avancement de la question du genre ?

Les Nations Unies et Les autres partenaires, comme la CEDEAO, travaillent en étroite collaboration sur les questions de genre avec une vision partagée sur le cadre normatif, la mobilisation des moyens et le renforcement des capacités des Etat mais aussi des organisations de femmes et de jeunes et tout autre acteur au service de l’équité et de l’égalité de genre en général, et la mise en œuvre des agendas « Femmes, Paix et Sécurité » et « Jeunes, Paix et Sécurité », en particulier.
Le travail fourni par la CEDEAO pour la mise en place des mécanismes, structures, cadres, politiques et stratégies en vue de traiter la question de genre et de la promotion des femmes et des jeunes, est un exemple à suivre.

Une telle structuration facilite la collaboration et permet de placer les décisions politiques et stratégiques au niveau du Conseil des Ministres auxquels les partenaires, y compris les Nations Unies, sont conviés.  Le niveau opérationnel et technique venant en amont pour préparer la réunion ministérielle, la cohérence et la pertinence dans les interventions sont naturellement au rendez-vous.

Concernant les autres organisations régionales, notamment l’Union du Fleuve Mano et le G5 Sahel, chacune a également une unité ou un département chargé des questions de genre. Toutes, ont facilité la mise en place de réseaux des femmes et des jeunes travaillant sur les thématiques genre, femmes, jeunes, paix et sécurité dans leurs zones de couverture. Et, dans le cadre du partenariat sous-régional pour le suivi et la mise en œuvre des Résolutions 1325 (2000) et suivantes du conseil de sécurité des Nations Unies, sous la coordination d’UNOWAS et d’ONU FEMMES, toutes ces organisations interagissent avec les organisations de la société civile, le monde académique, les centres de formation, les entités des Nations Unies dans la région, au sein du groupe de Travail, Femmes, Jeunes Paix et Sécurité en Afrique de l’Ouest et au Sahel ; cette plateforme multi acteurs qui constitue une belle réalisation de la sous-région reconnue ainsi au niveau international.

Quel conseil pourriez-vous donner aux gouvernements de la sous-région pour aboutir à la pleine participation des femmes ?

25 ans après la Conférence de Beijing assortie de son plan d’action et 20 ans de mise en œuvre de la Résolutions 1325 (2000) et suivantes du Conseil de Sécurité des Nations Unies, je formulerais quatre conseils à l’attention des gouvernements de la sous-région :
D’abord, Il faut écouter les femmes et les jeunes- et prendre en compte leurs besoins et préoccupations.

Ensuite, les Etats de la région ont fourni beaucoup d’efforts et ont démontré leur volonté de réduire les inégalités et les discriminations, notamment à travers l’adoption des lois et autres dispositions s pour protéger les femmes et les filles et/ou promouvoir leur pleine participation politique et aux processus de paix et de développement de leur pays.  Il faut maintenant   passer à l’action à travers la mise en œuvre effective des lois et dispositions votées ou adoptées. Les gouvernements de la sous-région doivent se doter des moyens et prendre des mesures (notamment des décrets ou arrêtés d’application, et dans certains, l’allocation budgétaire) pour faire appliquer les lois votées. Certains sont déjà sur la voie et nous les encourageons à en faire davantage.

Puis, plusieurs femmes médiatrices communautaires, locales et nationales de haut niveau ont été formées dans tous les pays de la sous-région. La CEDEAO, les autres organisations régionales, ONU FEMMES et UNOWAS, ensemble, avec d’autres partenaires, avons accompagné et facilité ce processus qui a abouti à la mise ne place de réseaux de femmes médiatrices dont FEMWISE Afrique de l’Ouest. Nous invitons les Gouvernements à impliquer ces femmes médiatrices dans tous les processus d’analyse et de gestion des conflits, de même que dans les processus de négociation, de médiation et de construction d’une paix durable dans les pays et dans la sous-région.

Enfin, les gouvernements doivent allouer des fonds aux programmes relatifs au genre, à la promotion des femmes et des jeunes, notamment, une allocation budgétaire nationale au plan d’action national pour la mise en œuvre des Résolutions 1325 (2000) et suivantes du conseil de Sécurité des Nations Unies pour assurer la protection des femmes et des filles et promouvoir leur pleine participation politique, à la prévention et la gestion des conflits, ainsi  qu’aux processus de paix et de sécurité de leur pays.

Les gouvernements de la sous-région ne peuvent parvenir aux résultats escomptés pour l’atteinte des objectifs du développement durable 5 et 16 (relatifs à l’égalité homme-femme et à la paix et la sécurité), que par des actions plus concertées et plus inclusives, le respect des principes d’égalité homme-femme, l’autonomisation des femmes et des jeunes, et la mise en place d’un cadre propice à leur participation, à leur influence et à leur leadership.

Cet article est publié dans le Magazine UNOWAS N12 -> Téléchargez ici