« Les résultats atteints sont encourageants mais sont encore loin des objectifs fixés par la Résolution 1325 »

Mme Oulimata Sarr, Directrice Régionale pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre de l’entité des Nations Unies consacrée à l’égalité des sexes et à l’autonomisation des femmes, ONU Femmes.

Mme Oulimata Sarr, Directrice Régionale pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre de l’entité des Nations Unies consacrée à l’égalité des sexes et à l’autonomisation des femmes, ONU Femmes.

5 nov 2020

« Les résultats atteints sont encourageants mais sont encore loin des objectifs fixés par la Résolution 1325 »

Dans le cadre du vingtième anniversaire de l’adoption de la Résolution 1325, UNOWAS Magazine est allé à la rencontre de Mme Oulimata Sarr, Directrice Régionale pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre de l’entité des Nations Unies consacrée à l’égalité des sexes et à l’autonomisation des femmes, ONU Femmes. Elle nous parle de l’impact de la COVID-19 sur les femmes et de la mise en œuvre de la Résolution 1325 en Afrique de l’Ouest. Entretien.

La pandémie de la COVID-19 n’épargne personne. Quel est votre évaluation de son impact sur les femmes dans la sous-région ?

Les effets de la pandémie du COVID-19 n’épargnent aucun secteur, affectent toute la population, et les femmes en particulier. Les femmes sont plus durement touchées par les impacts économiques que la COVID-19 entraîne. Elles travaillent majoritairement dans le secteur informel pour obtenir les ressources nécessaires à leur survie au quotidien. Le confinement partiel ou total peut les empêcher de gagner leur vie et de subvenir aux besoins fondamentaux de leurs familles. Les expériences ont montré que là où les femmes sont principalement responsables de l’approvisionnement et de la préparation des aliments pour la famille, l’augmentation de l’insécurité alimentaire à la suite des crises peut les exposer à la précarité, á la déstabilisation familiale et à un risque accru de violence domestique en raison de l’intensification des tensions au sein du ménage. Pour certaines d’entre elles, en particulier celles qui gèrent des petites entreprises que ce soit dans le formel ou dans l’informel, le manque de mesures de soutien auquel elles font face implique de choisir entre ouvrir leur entreprise ou rester à la maison pour prendre soin de leur famille.

Pensez-vous que les gouvernements de la sous-région ont fait le nécessaire pour protéger les femmes ?

Nous ne connaissons pas encore l’ampleur globale de l’impact de cette crise. Les organisations de femmes dans la région alertent sur le risque d’augmentation des grossesses précoces lors des prochaines mois et nous constations déjà une augmentation des mariages précoces et d’autres formes de violence dans certains pays d’Afrique de l’Est.

Dans tous les cas de figure, et en reconnaissant qu’aucun gouvernement n’était prêt à faire face à une pandémie de cette envergure, la crise a mis l’accent sur la nécessité de renforcer la résilience et d’améliorer la protection des populations face aux chocs futurs.  Et à ce niveau-là, la crise actuelle a mis le doigt sur certaines absences et gaps importants dans les systèmes de protection sociale de notre région. Il nous faut œuvrer à élargir les mécanismes de protection sociale pour qu’ils atteignent les plus vulnérables, y compris les travailleurs/euses du secteur informel, et pour développer des solutions adaptées aux conditions de vie de la région.  Les activités non-rémunérées d’assistance continuent à être un frein à la participation économique des femmes, un gap qui a davantage été creusé par la crise sanitaire et la fermeture des écoles.

La crise de la COVID a également fait ressortir les inégalités structurelles qui existent dans tous les domaines : la santé, l’économie, la sécurité, la protection sociale, les violences faites aux femmes et aux filles.  En temps de crise, lorsque les ressources s’amenuisent et que les capacités institutionnelles sont mises à rude épreuve, les situations auxquelles les femmes et les filles sont confrontées ont des impacts disproportionnés. Les acquis, arrachés de haute lutte en matière de droits des femmes, sont également menacés.

Aujourd’hui, les données collectées des évaluations rapides ainsi que les témoignages recueillis montrent que les stratégies d’atténuation tels le confinement, la restriction des mouvements ont été des facteurs aggravants des violences faites aux femmes car ont entrainé des violences domestiques et intrafamiliales ainsi que d’autres types de violences faites aux femmes dans le monde, y compris dans la sous-région. Le confinement a exacerbé les tensions et le stress créés par les contraintes sécuritaires, sanitaires et économiques. En d’autres termes, les mesures destinées à assurer la sécurité des populations ont souvent l’effet inverse pour les femmes et les filles.

Avant l’apparition de la Covid-19, la violence domestique constituait déjà l’une des principales violations des droits humains. Au cours des 12 derniers mois, 243 millions de femmes et de filles (âgées de 15 à 49 ans) dans le monde ont été victimes de violence physique ou sexuelle de la part d’un partenaire intime. Alors que la pandémie de Covid-19 poursuit sa progression, ce nombre devrait vraisemblablement augmenter, entraînant de multiples répercussions sur le bien-être des femmes, leur santé sexuelle, reproductive et mentale.

Malgré la grande visibilité qui a été donnée à l’impact de la Covid-19 sur les violences faites aux femmes, la capacité de réponse a été limitée, dû à l’insuffisance de financements.

Pourquoi est-il important que les femmes soient au cœur de la réponse à la pandémie du de la COVID-19 alors que les statistiques montrent que les hommes sont les plus touchés ?

Bien que l’aspect sanitaire de la maladie touche les hommes d’avantage, les impacts socio-économiques liés à la pandémie COVID-19 ne se sont pas répartis de manière égale. Les femmes et les filles sont particulièrement touchées de manière disproportionnée, en raison des inégalités préexistantes. En plus, la crise risque d’aggraver les inégalités entre les sexes et d’élargir les écarts entre les hommes et les femmes. Raison pour laquelle, des mesures prenant en considération les besoins des femmes et des filles sont essentielles pour garantir une réponse efficace et juste à la pandémie. De plus, les entreprises dirigées par des femmes ont été touchées plus rapidement par les effets de la pandémie que les PME dirigées par des hommes. En effet, une enquête d’ONU Femmes et de l’agence des PME de Côte d’Ivoire a montré qu’un nombre plus élevé d’entreprises dirigées par des femmes ont été contraintes de stopper leur activité en raison de la crise (64 % des entreprises dirigées par des femmes contre 52 % des entreprises dirigées par des hommes). Dès lors, il devient essentiel de positionner les femmes et les entreprises dirigées par des femmes au cœur des secteurs qui vont tirer profit de la relance post-COVID afin d’assurer une croissance inclusive et durable, en reconstruisant pour le mieux.

Et pour conclure sur ce sujet, je voudrais citer la Directrice Exécutive d’ONU Femmes, Mme Phumzile Mlambo-Ngcuka qui dans un discours datant du 6 Avril 2020 avait déclaré :  « La COVID-19 nous met déjà à l’épreuve d’une manière inédite, provoquant des chocs affectifs et économiques que nous avons du mal à surmonter. La violence qui se révèle aujourd’hui comme un sinistre aspect de cette pandémie est un reflet de nos sociétés et un défi pour nos valeurs, notre résilience et notre humanité partagée. Nous devons non seulement survivre au coronavirus, mais également renaître de cette crise en plaçant la puissance des femmes au cœur de la reprise. »

Octobre prochain nous fêterons les 20 ans de la résolution 1325 (2000) relative aux femmes, à la paix et à la sécurité. Quel inventaire faites-vous de sa mise en œuvre en Afrique de l’Ouest et au Sahel ?

L’adoption à l’unanimité de la Résolution 1325 par le Conseil de Sécurité a été historique dans la mesure où c’était la première fois qu’une résolution exclusivement consacrée à la problématique sur les femmes, la paix et la sécurité avait fait l’objet d’attention et d’engagement fort de la part du Conseil de Sécurité.  Son adoption a créé beaucoup d’enthousiasme mais aussi de grandes attentes de la part des femmes et des différents acteurs en matière de genre à travers le monde. Au cours de ces 20 ans d’existence, le Conseil de Sécurité a priorisé le suivi de l’état de sa mise en œuvre, ce qui a conduit à l’adoption de 9 autres résolutions. Au niveau de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel, beaucoup d’initiatives ont été menées et ont conduit à des résultats certes pas suffisants mais encourageants. Ainsi au niveau normatif presque tous les pays disposent de plans d’action nationaux de mise en œuvre de la résolution 1325, à la suite de fortes sensibilisations menées sur la résolution, les acteurs et la population sont plus convaincus du rôle que les femmes doivent jouer pour aboutir à une paix durable. A travers tous les pays d’Afrique, les femmes sont organisées en associations qui œuvrent pour la paix et elles mènent un travail inestimable en matière de rapprochement et réconciliation communautaire. Leur rôle est parfois occulté ou pas apprécié à juste titre, mais il existe dans la région de multiples exemples très réussis où les femmes ont pu se mobiliser pour freiner des conflits communautaires sanglants, plaider en faveur de la paix et d’une gestion pacifique des conflits que ce soit au Mali, au Niger, au Burkina Faso, et elles sont à pied d’œuvre pour prévenir les conflits électoraux dans beaucoup de pays.

En matière de protection, les corps de défense et de sécurité ainsi que le secteur de la justice ont fait des progrès pour une meilleure protection des femmes contre les violences. Plusieurs formations ont été conduites en faveur des membres de ces corps, ce qui a permis un changement de comportement et l’adoption d’initiatives en faveur du genre. Ainsi l’armée et la police de beaucoup de pays disposent désormais des plans d’actions et des unités genre, ont revu leurs codes de conduite, et disposent de politiques pour une augmentation progressive du nombre de femmes dans ces corps. Beaucoup de pays ont également adopté des lois pour une meilleure répression des violences à l’égard des femmes.

Des résultats encouragent ont été également atteint dans la représentation des femmes dans les sphères de prise de décision dans les pays en situation pacifique ou post-conflit, surtout par l’adoption de lois sur les quotas dans beaucoup de pays. Les Nations-Unies ont également fait un grand bond en avant, en augmentant le nombre de femmes dans les missions de maintien de la paix et dans les positions stratégiques de représentation dans la région.  

Que doit-on faire pour que la mise en œuvre de cette résolution améliore davantage la situation des femmes dans les années à venir ?

Les résultats atteints sont encourageants mais sont encore loin des objectifs fixés par la résolution 1325. Ils ont contribué à créer un environnement favorable et constituent des jalons pour accélérer la mise en œuvre effective de l’agenda femmes, paix et sécurité dans la période à venir.  Pour une mise en œuvre effective de cette résolution, il faudra continuer la sensibilisation des différents acteurs afin de briser la résistance toujours existante par rapport l’implication des femmes dans les mécanismes de paix. Le rôle des femmes en tant que médiatrices de paix devra être reconnu et soutenu dans toutes les situations de conflit. Les diverses organisations œuvrant pour la paix dans les différents pays de la région ont besoin de plus de soutien, tant institutionnel que technique et financier, afin qu’elles puissent mieux jouer leur rôle et produire plus d’impact pour la paix.  Malgré les efforts fournis, les violences sexuelles à l’égard des femmes continuent à être un fléau et il faudra intensifier les actions en vue de leur éradication.  

Même si l’agenda femmes paix et sécurité a bénéficié d’un grand soutien politique au niveau international et dans la région, il n’a pas été financé à hauteur des objectifs fixés.  Il s’avère plus que jamais indispensable d’accorder un appui financier de la part des Etats et des bailleurs de fonds pour la mise en œuvre effective des différents Plans d’action Nationaux de la R1325 dans la région. En même temps l’appropriation et la priorisation de ces plans par les Etats de ces plans reste à renforcer pendant les années à venir.

En cette période de crise, quelles sont selon vous les trois priorités/mesures à entreprendre par les gouvernements et ONUFEMMES pour mieux protéger les femmes et assurer leur participation effective dans les processus de décision ?

Il est essentiel que les gouvernements qui introduisent des mesures pour empêcher la propagation de la COVID-19, comme le confinement ou la quarantaine, entreprennent une série d’actions supplémentaires pour réduire l’impact potentiellement négatif que ces mesures vont avoir sur les populations les plus vulnérables, y compris les femmes et les filles. Il faudra effectivement veiller à ce que les droits de l’homme soient au cœur de la réponse et ceux des femmes encore plus.
Au-delà de la nécessité de ventiler les données de prise de décision relatives (au moins par sexe, âge, handicap,) à l’épidémie et de les analyser en conséquence, il faudra que les gouvernements avec le soutien d’ONU Femmes s’assurent que les plans stratégiques nationaux de préparation et d’intervention face à la Covis-19 reposent sur une analyse approfondie des questions de genre, garantissent le droit à l’information pour tous et toutes et assurent la disponibilité, l’accessibilité, l’acceptabilité et la bonne qualité des installations, biens et services de soins de santé à tous ceux qui en ont besoin. Pour finir il sera primordial de garantir la participation des femmes et des filles dans tous les processus de prise de décision pour faire face à l’épidémie de COVID-19 et élaborer des stratégies ciblées d’autonomisation économique des femmes pour atténuer l’impact de l’épidémie et offrir des mesures d’accompagnement effectives.

Cet article est publié dans le Magazine UNOWAS N12 -> Téléchargez ici