Election présidentielle au Sénégal: “Une affaire de goût !”

Election présidentielle au Sénégal, électeur au centre de vote des HLM 5 à Dakar. 24 février 2019. Photo: UNOWAS SCPIO

Election présidentielle au Sénégal, électeur au centre de vote des HLM 5 à Dakar. 24 février 2019. Photo: UNOWAS SCPIO

Une femme met son bulletin de vote dans l’urne, le jour de l’election presidentielle dans un centre de vote aux HLM. Le 24 février 2019. Photo: UNOWAS UNOWAS SCPIO

Une femme met son bulletin de vote dans l’urne, le jour de l’election presidentielle dans un centre de vote aux HLM. Le 24 février 2019. Photo: UNOWAS UNOWAS SCPIO

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21 juin 2019

Election présidentielle au Sénégal: “Une affaire de goût !”

L’élection présidentielle qui s’est déroulée le 24 février 2019, a révélé la maturité politique du peuple sénégalais qui s’est mobilisé à travers toutes ses catégories sociales pour élire le Président de la république du Sénégal.

Je n’ai jamais raté un seul rendez-vous électoral, j’ai toujours voté

«Je n’ai jamais raté un seul rendez-vous électoral, j’ai toujours voté », lance fièrement Mme Rokhaya Mal qui tient une petite « gargote » sur la place du Souvenir Africain, à la Corniche de Dakar. Du haut de ses cinquante ans, elle est confiante que le candidat pour qui elle va voter, gagnera les élections présidentielles. Elle espère surtout que le scrutin se déroulera dans une atmosphère apaisée. « Je prie que les élections se déroulent bien. Que les gens aillent voter et que le peuple accepte le résultat des urnes », dit Mme Mal. « Vous savez, si on n’a pas la paix on n’a rien », renchérit-elle, en servant ses clients assis autour d’une table de fortune pour déguster le traditionnel thiebou Dieune (Riz au poisson).

Les opinions souvent subjectives teintées d’une dose de militantisme fusent dans tous les sens. C’est normal, nous sommes à la veille de l’élection présidentielle au Sénégal et chaque personne a quelque chose à dire ! A l’ombre, installés sous un arbre, alors que le soleil est à son zénith, cette restauratrice de rue et ses clients, ne dérogent pas à la règle. A bâton rompu, ils pérorent sur l’élection présidentielle qui se déroulera le lendemain, le 24 février.

Les vœux de Mme Mal

Les vœux de Mme Mal se sont réalisés ! D’une façon unanime, les observateurs internationaux et nationaux accrédités à suivre les élections, ont jugé le scrutin « calme, participatif et transparent, malgré quelques irrégularités ». Ce qui n’était pas gagné d’avance car, durant la campagne électorale, des incidents ont été observés dans diverses localités qui ont poussé les autorités à prendre des mesures pour assurer la sécurité de la population, et les candidats à lancer des appels au calme et à la retenue.

De son côté, le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS) n’est pas resté inactif. Engagé dans sa volonté de prévenir tout type de violence, le Représentant spécial du Secrétaire général et Chef d’UNOWAS), avait, avant la tenue des élections, rendu visite aux bureaux de campagne des cinq candidats en lice pour les sensibiliser et les encourager à œuvrer pour la tenue d’élections pacifiques. « L’élection de 2019 est une étape majeure dans la consolidation de la démocratie qui s’est toujours accomplie dans la paix et la tolérance », avait-il déclaré, tout en encourageant les sénégalais à continuer d’être les promoteurs de cet esprit de paix et de tolérance pour faire gagner le Sénégal.

Cinq candidats pour un siège

La discussion entre les clients de Mme Mal s’anime et se tend crescendo, quand une jeune fille, cuillère à la main, révèle, avec des éclats de rire, qu’elle ne sait toujours pas pour qui voter. « Je n’ai confiance en aucun des candidats ! Peut-être que je vais voter pour Ousmane Sonko, parce qu’il est jeune et qu’il a l’ambition de vouloir changer les choses » dit-elle. « De toute façon on sait déjà qui va gagner ! » conclut-elle. Un autre client d’acquiescer et de vociférer avec de grands gestes : « mais le Président Macky Sall, avec le parrainage. C’est sûr qu’il va gagner ».

Le parrainage, la nouveauté de ce processus électoral, a fait couler beaucoup d’encre au Sénégal. Selon la loi n° 2018-22 du 04 juillet 2018 portant révision du Code électoral, toutes les élections présidentielle, législative et locale sont désormais soumises au parrainage citoyen. Ce sont seulement les électeurs régulièrement inscrits sur les listes électorales qui peuvent parrainer une candidature. Avant 2018, le parrainage était seulement exigé aux candidats indépendants de l’élection présidentielle. Maintenant, chaque candidat doit réunir au moins 0,8 % de signatures des électeurs inscrits sur le fichier électoral en provenance d’au moins 7 régions. Sur les 27 candidatures présentées seules 7 ont pu passer le test du parrainage. In fine, 5 candidatures ont été validées par le Conseil Constitutionnel.

Moi j’ai mon candidat ! c’est vrai, et je souhaite qu’il gagne.

Mme Mal sourit malicieusement et dit avec conviction: « en tout cas, c’est une histoire de goût ! Macky Sall est mon candidat et je voterai pour lui. Il a su préserver la stabilité et la paix dans ce pays. Alors pourquoi vouloir changer de président ? ». Et de préciser ensuite : « Moi j’ai mon candidat ! c’est vrai, et je souhaite qu’il gagne. Mais, peu importe, que les gens aillent voter et quels que soient les résultats, il faudra accepter la volonté du peuple et préserver la paix ».

Le 24 février 2019, jour de vote, plus de 6,69 millions d’électeurs sénégalais étaient appelés à se rendre aux urnes pour choisir celui qui dirigera le pays. Il leur fallait choisir entre le président sortant Macky Sall (Coalition Benno Bokk Yakaar) et ses adversaires, Idrissa Seck (Coalition Idy 2019), Madické Niang (coalition Madické 2019), Issa Sall (PUR) et Ousmane Sonko (coalition Sonko Président).

Mais où sont les femmes ?

Continuant leur débat, Mme Mal et ses clients se prêtent à un exercice de pronostic et de spéculations sur « l’heureux élu » de cette présidentielle. Racky Ndiaye, une jeune femme d’à peine 30 ans, venue acheter de quoi manger, intervient dans la discussion pour dire, un peu déçue, voire, triste, que les femmes sont les grandes absentes de cette course à la magistrature suprême : « C’est dommage qu’il n’y ait aucune femme candidate. Je me souviens qu’en 2012, Amsatou Sow Sidibe et Diouma Dieng Diakhaté avaient battu campagne ».

Les femmes constituent la grande majorité de l’électorat sénégalais. Elles sont un enjeu électoral et une force politique, qui par leur engagement, sont capables de faire basculer un scrutin. A titre d’illustration, en 2000, elles ont grandement contribué, à l’émergence de la première alternance politique qu’a connu le Sénégal. L’élection de 2000 fut la première dans l’histoire politique du Sénégal à enregistrer une candidature féminine.

Pourtant, elles étaient trois, en l’occurrence Aissata Tall Sall, Aida Mbodj et Amsatou Sow Sidibé, à avoir déposé leur candidature au Conseil Constitutionnel. Selon certains analystes, l’exercice du parrainage y est pour beaucoup et les femmes candidates n’ont pas pu obtenir les 53 000 signatures requises.

« J’espère que vous irez voter demain »

Enthousiaste, telle une militante, Racky interpelle encore les clients : « Vous qui polémiquez, j’espère que vous irez voter demain » assène-t-elle.  « Si vous voulez voir les choses changer, c’est l’occasion de vous exprimer à travers les urnes », ajoute-t-elle. Racky finit par confier, à ce groupe de personnes qu’elle vient à peine de rencontrer, qu’elle fait partie de la plateforme de veille Sunu Election et qu’elle se réveillera tôt le lendemain pour aller voter et ensuite se rendre au poste qui lui a été assigné comme observatrice.

L’élection présidentielle de 2019, a enregistré un pourcentage de participation record de 66 % contre 51,58 % en 2012 et 60,17 % en 2000. Une forte mobilisation citoyenne qui confirme une maturité politique des sénégalais. En effet, plus de 4 millions de citoyens se sont rendus aux urnes. En mi-journée déjà du jour du scrutin, on reportait un taux de participation de plus de 40 %, une première au Sénégal.

Pour cette présidentielle, les observateurs nationaux ont abattu un travail remarquable. 5 003 observateurs ont été accrédités par le Ministère de l’intérieur pour observer l’élection présidentielle. De ce nombre, il faut compter un peu plus de 4 100 volontaires sénégalais dont la plupart était déployée sur toute l’étendue du territoire par la société civile. Sans oublier, l’Eglise catholique qui a, pour sa part, mobilisé 1 000 observateurs. Les organisations internationales et régionales, comme la CEDEAO, l’Union Africaine et l’Union Européenne, ont également déployé des missions d’observation.

La vie est très difficile ! Je souhaite que le coût de la vie diminue considérablement au Sénégal

De grands défis pour le président élu

Un peu plus d’une semaine après le scrutin, période caractérisée par une « guerre des chiffres », entre les candidats de l’opposition et le parti au pouvoir, le conseil constitutionnel déclare le candidat Macky Sall, vainqueur dès le premier tour avec 58,27 % des voix. Il est suivi par Idrissa Seck qui comptabilise 20,5 %, puis Ousmane Sonko avec 15,67 %. Les candidats Issa Sall et Madické Niang s’en sortent avec respectivement 4,07 % et 1,58 %.

Après près d’une heure de discussion sur l’élection présidentielle, Mme Mal finit par expliquer à ses clients que cela fait des années qu’elle exerce le métier de restauratrice qui lui a permis de réaliser tous les projets qui lui tenaient à cœur. « La vie est très difficile ! Je souhaite que le coût de la vie diminue considérablement au Sénégal » dit-elle. Elle espère que le président élu fera tout son possible pour que les denrées de première nécessité soient accessibles. « Vraiment, je ne gagne plus comme avant », se plaint-elle.

Cette plainte est partagée par la quasi-totalité de ses clients, qui acquiescent et commentent avec désinvolture les difficultés du quotidien. « Moi, ça fait plusieurs années que j’ai obtenu mon diplôme de master en gestion, mais je peine à trouver du travail. Je suis obligé de me taper les petits boulots pour m’en sortir », explique Issa, un jeune homme de 33 ans. « Il faut restructurer le système scolaire, créer des emplois, améliorer l’accès à la santé. Nous avons de bons médecins qui travaillent dans des conditions difficiles, dans des hôpitaux qui manquent de tout » renchérit de plus belle Issa, avec une voix teintée de passion.

Les élections se sont déroulées d’une manière pacifique et participative, et le président sortant, Macky Sall, a été réélu pour un second mandat de 5 ans. Faisant écho aux ’attentes de la population sénégalaise, les commentateurs du restaurant de chez Mme Mall, avant de se débarrasser de leur assiette de thiebou Dieune, ont unanimement insisté sur le fait que quel que soit le président qui sera élu, « il sera le président de tous les sénégalais. Il devra tout faire pour accentuer le développement du pays », tout un programme !