Ayisha Osori “Tenir des élections régulières n’est pas la démocratie”

20 juin 2019

Ayisha Osori “Tenir des élections régulières n’est pas la démocratie”

Ayisha Osori est la directrice Exécutive d’Open Society Initiative for West Africa (OSIWA). Elle est l’auteur du livre “ l’amour ne fait pas gagner les élections ». Une expérience personnelle qui raconte la politique et les élections au Nigeria. Interview.

Votre livre, publié en 2017, “L’amour ne fait pas gagner pas les élections”, est une déclaration. Qu’est-ce que cela signifie ?

Le contexte dans lequel le livre a été écrit, c’est-à-dire la politique et les élections au Nigéria, ce qui fait gagner des élections, c’est le contrôle des institutions censées assurer la responsabilité électorale, à savoir les partis politiques, le pouvoir judiciaire, l’organe de gestion des élections et, dans une moindre mesure, les agences de sécurité. Cela peut sembler familier à ceux qui travaillent dans le domaine de la gouvernance démocratique dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest.

Mais vous avez écrit : “Il ne fait aucun doute que nous avons besoin de plus de personnes dans l’espace politique. L’espace est en désordre, mais vous n’avez pratiquement pas d’autre choix que de continuer à vous engager”. Pensez-vous que les citoyens nigérians, en particulier les femmes et les jeunes, sont impliqués dans l’espace politique ?

Les femmes et les jeunes s’impliquent de plus en plus dans l’espace politique au Nigéria. L’appel constant en faveur d’une action positive en faveur de la représentation des femmes ainsi que du succès de la campagne « Pas trop jeune pour se présenter » (qui a été adoptée à l’échelle mondiale), qui a permis de réduire les critères d’admissibilité à l’âge minimum requis pour certains postes, en sont la preuve. On pourrait toutefois affirmer, au vu de la baisse du nombre de femmes élues au parlement national et au parlement des États depuis 2007, que les résultats ne font pas encore la différence. De même, malgré le nombre croissant de jeunes qui se présentent aux élections, la représentation des jeunes dans la prise de décision reste faible.
Davantage de citoyens - au-delà de ceux qui se présentent à des postes électifs - doivent participer de façon beaucoup plus active dans la vie politique locale et nationale. Le nombre décroissant de suffrages exprimés (35 % aux élections générales de 2019 qui viennent de s’achever) indique que la majorité est désengagée, raison pour laquelle j’appelle à impliquer davantage de personnes, non seulement en tant que candidats, mais également en tant qu’électeurs, partisans de la responsabilité et citoyens qui mettront la pression sur le gouvernement pour qu’il respecte le contrat social.

En février dernier, le Nigéria a connu une élection présidentielle. Diriez-vous qu’il y a eu une amélioration de la participation par apport aux élections présidentielles de 2015 ?

Non, il n’y a pas eu d’amélioration si l’on prend en compte la participation électorale. En fait, les données sur les élections présidentielles montrent une diminution constante du nombre de Nigérians qui votent. L’élection de 2019 enregistre le taux le plus bas depuis 1999. Toutefois, certains pourraient affirmer qu’avec les médias sociaux, les conversations sont de plus en plus fondées et plusieurs partagent leurs points de vue et prennent une part active dans la campagne en faveur de leurs candidats / partis - malheureusement, il n’y a pas encore de données pour le prouver ou le réfuter.

Après le Nigéria et le Sénégal, plusieurs élections présidentielles et législatives seront organisées en Afrique de l’Ouest. Que conseillez-vous aux politiciens et aux jeunes candidats pour les aider à renforcer leur engagement en faveur de la bonne gouvernance et pour changer la “culture politique” ?

En tant que région, nous n’avons que partiellement acquis une bonne compréhension de l’institutionnalisation de la démocratie

Il existe une tendance en Afrique de l’Ouest où les élections se tiennent plus régulièrement mais où nous observons des valeurs et des pratiques moins démocratiques. Cela est évident dans la nature des réformes électorales et des lois qui limitent le choix et la participation, la manière dont les présidents en exercice traitent l’opposition, la manière dont les institutions chargées de la responsabilité électorale sont compromises et même la tendance croissante à manipuler les constitutions. En conséquence, la perception de légitimité de ces gouvernements est affaiblie et la distance entre les élus et l’électorat se creuse, les citoyens de la région étant également confrontés à des problèmes communs, tels que des taux de pauvreté croissants, même pour les pays en croissance régulière.
Je conseille aux politiciens de prendre note des tendances en Afrique et dans le reste du monde - les citoyens sont de plus en plus impatients à bénéficier des avantages d’une bonne gouvernance et des États qui prennent en compte les aspirations de la population, majoritairement jeune. Il faut revoir la politique pour soi-même - en mettant fin au modèle colonial consistant à faire en sorte que les membres du gouvernement soient extrêmement à l’aise au détriment de la majorité de la population.

Mon conseil aux jeunes candidats est de réinventer ce que la gouvernance, la politique et les élections peuvent être pour eux et leurs communautés. Le modèle actuel de la politique et de la gouvernance dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest n’est pas viable et si les jeunes candidats peuvent trouver des moyens de changer le cours des choses et de remplacer (être prêt à remplacer est très important car, là où il y a des perturbations sans modèle alternatif, le chaos s’ensuit). Cela sera, au final, bénéfique aussi bien pour eux, que pour leurs pays et la région dans son ensemble.

De façon plus globale, quel est votre avis sur le rôle effectif des élections dans la consolidation de la démocratie en Afrique de l’Ouest ?

Les élections ne sont pas la démocratie. Tenir des élections régulières n’est pas la démocratie. Tenir des élections régulières et bien orchestrées n’est pas de la démocratie. Bien que les élections se déroulent régulièrement en Afrique de l’Ouest, il est réconfortant de constater que beaucoup de citoyens s’interrogent sur le lien qui existe entre les élections ordinaires et la bonne gouvernance qui a un impact positif sur leur vie. Une récente étude Afrobaromètre indique que la majorité des Africains considèrent la démocratie comme un système mais que seulement 15 % sont prêts à la défendre et que la faible participation électorale de nos pays témoigne d’une désillusion croissante pour la démocratie.

Il doit y avoir un lien entre les élections et la qualité de vie des citoyens et la qualité des services gouvernementaux. Les meilleurs choix et options lors du vote, la facilité accrue de voter et d’être électeur, la réduction de la violence, la diminution du coût des élections (à la charge de l’État et des citoyens) et les normes démocratiques souples respectées par les citoyens et les responsables politiques, sont tous importants pour la consolidation de la démocratie en Afrique de l’Ouest. En tant que région, nous n’avons que partiellement acquis une bonne compréhension de l’institutionnalisation de la démocratie.