Pierre Lapaque, Représentant Régional de l’ONUDC: « En Afrique de l’Ouest, l’insécurité provient en partie du secteur de la sécurité lui même »

M. Pierre Lapaque, Représentant Régional de l’ONUDC

M. Pierre Lapaque, Représentant Régional de l’ONUDC

14 aoû 2017

Pierre Lapaque, Représentant Régional de l’ONUDC: « En Afrique de l’Ouest, l’insécurité provient en partie du secteur de la sécurité lui même »

L’Office des Nations contre la drogue et le crime (ONUDC) joue un rôle  dans  la lutte contre le terrorisme, les trafics illicites, le crime organisé et la corruption. A travers son mandat, il contribue également à renforcer la Réforme du secteur de la sécurité (RSS) par une approche  intégrée. Dans cet entretien, Pierre Lapaque, le Représentant régional de l’ONUDC pour l’Afrique de l’Ouest, parle de l’importance de la RSS et fait le point sur les divers processus RSS engagés dans la sous-région qui continue de faire face à de nouveaux défis qui menacent la paix et la sécurité.

Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste la Réforme du Secteur de la Sécurité (RSS) ?

La RSS est un processus ayant pour objectif de réformer et renforcer à la fois les institutions, structures, législations et personnels  en charge du contrôle de la sécurité afin de les rendre plus professionnelles et responsables. Il est particulièrement important dans les contextes post-crise. L’objectif fondamental est de garantir à l’Etat et aux populations une sécurité efficace et respectueuse de l’Etat de droit. En Afrique de l’Ouest, l’histoire a montré que l’insécurité provient en partie du secteur de la sécurité lui-même, que ce soit par sa faiblesse ou par sa politisation.

Les menaces à la paix et à la sécurité en Afrique de l’Ouest et dans le Sahel sont multiples. Sur quels aspects de ces menaces l’accent doit davantage être porté ?

La crise malienne a rappelé, avec violence, la précarité de la paix en Afrique de l’Ouest et dans le Sahel qui demeurent des «points chauds» du continent.  Elle est emblématique du caractère hybride et transnationale des menaces sécuritaires qui touchent aujourd’hui l’espace ouest-africain. Si une majorité de pays échappent à une situation de conflit ouvert, l’existence de foyers de conflictualité latents, ainsi que les tensions épisodiques, notamment liées aux processus électoraux, rappellent les risques de basculement vers des situations de crises ouvertes. Aux vulnérabilités structurelles et historiques du passé, se mêlent aujourd’hui de nouveaux facteurs de conflictualité transfrontaliers comme le terrorisme international, le narco-trafic ou la piraterie maritime. L’émergence de ces nouvelles menaces constitue une priorité dans l’agenda des Etats et de leurs partenaires, à l’instar de l’ONUDC, car elles sont à mêmes de remettre en causes les grandes avancées en matière de paix et de sécurité, réalisées depuis une dizaine d’années.

Le processus de RSS implique différents acteurs. Qui sont-ils ? Et quels sont les mécanismes qui sont mis en place pour faciliter une cohérence d’action entre ces acteurs ?

La RSS implique une multitude d’acteurs, au premier desquels les Etats qui dirigent ce processus, les Communautés Economiques Régionales (CER) comme la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ainsi que l’ensemble des partenaires qui leurs apportent un appui dans ce domaine. Ces derniers sont nombreux et spécialisés sur différentes thématiques. Car il ne s’agit pas seulement de réformer l’armée, la police ou la justice, mais l’ensemble du système de sécurité et de soumettre toutes ses composantes à un contrôle démocratique, opéré par l’Etat, la société civile et les médias. C’est pour cette raison que la RSS s’articule souvent avec d’autres processus de transition et de développement, comme le désarmement, la démobilisation et la réintégration ou la justice transitionnelle.

Au niveau des Nations Unies, pour faciliter une approche holistique et coordonnée, le Secrétaire général a constitué une équipe spéciale inter-organisations, co-présidée par le Département des Opérations de Maintien de la Paix (DOMP) et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), et à laquelle prend part plus d’une dizaine d’entités des Nations Unies œuvrant dans ce domaine.

Justement, quel rôle joue les Nations Unies en général, et l’ONUDC en particulier, dans les processus RSS en Afrique de l’Ouest et dans le Sahel ?

L’Afrique de l’Ouest a été traversée par une série de conflits meurtriers, notamment durant les années 1990, dans les pays de l’Union du Fleuve Mano et du Golfe de Guinée, puis plus récemment au Mali. Chaque fois, ces conflits ont nécessité des processus complexes de RSS dans lesquels les Nations Unies ont joué et continuent de jouer un rôle important. Le DOMP, à travers ses sections RSS, désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) au sein des missions de maintien de la paix dans la région, joue un rôle majeur dans ce dispositif.

L’ONUDC, par son mandat de lutte contre le terrorisme, les trafics illicites, le crime organisé et la corruption, contribue à renforcer la RSS à travers une approche holistique et intégrée comprenant plusieurs composantes. Nous apportons tout d’abord une assistance juridique auprès des Etats à l’adoption de législations, stratégies et plans nationaux en matière de sécurité et de justice pénale, en conformité avec les conventions internationales et le respect des droits humains. Cela comprend par exemple l’adoption de nouvelles lois anti-terroristes au Burkina Faso (décembre 2015) et au Niger (mai 2016).  Ensuite, l’ONUDC met en œuvre divers programmes de renforcement de capacités des acteurs sécuritaires et judiciaires qui couvrent l’ensemble de la chaine pénale : de l’identification du comportement criminel à l’enquête judiciaire jusqu’au jugement et à l’incarcération. Ceci en veillant à chacune de ses étapes au respect des normes démocratiques et conventions internationales en la matière. A cet égard, notre bureau travaille étroitement avec les CER, en particulier la CEDEAO et le G5 Sahel, ainsi que les autres partenaires internationaux, comme la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali (MINUSMA) au Mali.

Quelles sont les défis auxquels les pays font face dans la mise en œuvre de ces réformes ? Comment y faire face ?

Des avancées notables ont été accomplies en matière de RSS ces dernières années au niveau des Etats, mais aussi régional et continental, par l’action combinée de la CEDEAO et de l’Union Africaine (UA). Ainsi, l’élaboration d’une stratégie de RSS de la CEDEAO, ainsi que des initiatives telles que le développement d’un Code de Conduite pour les Forces armées et de la Sécurité, constituent des étapes importantes à saluer. Cependant, la détérioration récente de la situation sécuritaire dans certains pays souligne le caractère fragile et réversible de ces avancées. Par ailleurs, les capacités  de personnels qualifiés, tant du côté de la CEDEAO que des Etats, restent à renforcer, pour donner une cohérence et une plus grande efficacité aux réformes. Au niveau étatique, la ratification des protocoles de la CEDEAO en la matière, ainsi que le renforcement des cadres juridiques nationaux et l’adoption de programmes et plans d’action cohérents et intégrés, demeurent des priorités. En cela, le leadership politique et l’appropriation des Etats seront déterminants. Enfin, les partenaires devront veiller à assurer une bonne coordination des actions à mener, en se basant sur des évaluations de besoin détaillées et un contexte politique propice aux réformes. 

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